Voyage vers l'Est

Yanno Courto émergea bruyamment de l'eau. Il s'ébroua pour se soulager du poids de l'eau dans sa fourrure. Comme il relevait lentement son visage, il considéra avec minutie l'endroit où il se tenait; la végétation y était luxuriante mais différente de Mousseray. Il se demanda si il y avait des habitants et à quoi ils pouvaient bien ressembler si c'était le cas. Il n'eut pas l'occasion de se questionner plus longtemps, car déjà, Martin, Le guerrier de Rougemuraille, arrivait à sa hauteur.

Martin sortit de l'eau et frisonna lorsqu'un courant d'air lui passa sur le pelage.
Il se frictionna quelques instants, pus regarda autour de lui.

Derrière, la mer, avec au loin le navire. Le soleil se reflétait dans l'eau et éblouissait tout autour de lui.
Devant, une plage. A une centaine de mètres de là, la lisière d'une forêt. Les arbres étaient couverts de lierre et de lianes, et étaient si rapprochés que les cimes de certains s'entremêlaient.

Comme ils n'étaient que deux sur la plage, Martin attendit que d'autres arrivent.

La barque qui contenait Pivoine et Touff accosta. Pivoine sauta avec précautions à terre. Elle se redressa de toute sa hauteur et avança fièrement. Elle ne pouvait pas se permettre d'être faible, pas maintenant.
D'une voix ferme dont elle écarta tout tremblements, elle lança :

- L'équipage attend de savoir si l'île est intéressante pour débarquer. Nous avons 24h pour partir en reconnaissance. En avant !

Touff regarda avec des yeux ronds sa cousine. Il ne la reconnaissait plus. Encore incrédule, il la suivit, faisant au passage un signe d'incompréhension à Yanno et Martin qui la regardaient avec surprise.

Yanno hésita un instant puis il emboîta le pas aux deux jeunes écureuils. A ses côtés, Martin avançait, scrutant les environs avec attention.

La magnifique végétation s'épanouissait autour d'eux et leur cacha bientôt la vue du navire. Ils avançaient prudemment, tout leurs sens aux aguets. Dès qu'ils voyaient une plante insolite, Pivoine s'empressait de faire un croquis sur son petit carnet à couverture de cuir, puis en cueillait un brin avec beaucoup de précautions (afin d'éviter une malencontreuse urticaire, par exemple !).
Au fur et à mesure de leur progression, la jeune écureuil s'était calmée, puis détendue, et plaisantait volontiers avec son cousin ou Yanno, mais elle s'efforçait d'éviter discrètemment Martin. Il faudrait qu'elle ait une discution privée avec lui.

Le groupe d'explorateur bavardaient gaiement lorsqu'on décréta d'un accord commun la pause déjeuner.

Touff s'approcha avec avidité du sac de provision qu'ils avaient emmené et que Yanno avait insisté pour porter... enfin, pour le protéger de l'immodérable appétit de l'écureuil.

Yanno ne se retourna même pas; entendant l'écureuil s'approcher du sac de provisions, il dit tout haut:"Ne s'rait il pas un peu tôt pour manger, messire Touf?""Attendez qu'tout l'monde soit servi!"

Touff !!!!! s'écria Pivoine, amusée. N'as tu pas honte ?!
Sous le regard indigné de Touff, elle poursuivit en s'adressant à Yanno.
Yanno ? Pourrais-je prendre ma part... hem... rapidement ? Très rapidement ?

"Pour sûr!! tenez, la voila." "Et voila la vôtre, Touff." "Ah et pour vous, Martin."Yanno n'avait pas faim, aussi commença-t-il à inspecter son armement.

"Nous devrions nommer cette île !" s'écria soudainement Pivoine. "Si personne ne l'habite, elle n'a peut-être pas de nom. Pour dresser une carte, ça ne va pas être facile."

Yanno parut dubitatif; toutefois, il essaya de se creuser la cervelle pour trouver un exemple de nom."Ben moi, je n'trouve pas." "Et vous?"Finit-il par dire.

"Moi, je sais !" s'écria Touff, toujours vexé qu'on lui ai fait une réflexion sur sa gourmandise.
"On a qu'à l'appeller l'île déserte-ininteressante-paumée-au-milieu-de-nulle-part ! C'est vrai, quoi ! On marche depuis au moins... quatres heures, et à part ces fichues plantes qu'on sait même pas si elles sont comestibles, on a rencontrés que des insectes ou des vers de terre ! Même pas un écureuil ou une souris, ou un blaireau ou... n'importe, une créature pensante assez intelligente pour nous convier à déjeuner !"

"Oh, Touff ! Tu exagères !" répliqua Pivoine.
"Nous ne sommes pas certain que cette île soit déserte, reprit-elle, mais d'après mes observations, elle est parfaitement habitable, et il se pourrait que nous décidions de l'aménager au mieux pour pouvoir envoyer y vivre des familles -volontaires, bien sûr-.
De plus, elle est très interressante et riche au point de vue géologique et au niveau de la flore.
Et dernière information, si pour l'instant elle est au millieu de nulle part, nous avons pour mission d'explorer et de dresser de nouvelles cartes, afin de mieux connaître cette partie de la mer, et bientôt, elle sera répertoriée au même titre que Terramort, que l'île des bois, que les îles jumelles...
Nous avons la chance de pouvoir la baptiser, il n'y a pas à hésiter ! Simplement, il faut bien choisir, car ce nom restera dans les mémoires bien plus longtemps que le notre.
J'ai lançé l'idée pour que nous commencions à réfléchir, mais je pense que nous devrions attendre d'avoir exploré toute l'île pour nous fixer."

Martin écouta avec attention les propositions de Pivoine. Il était intéressant d'envisager une colonisation de l'île, mais cela impliquait qu'elle ne soit pas habitée.
La souris sortit de ses poches une carte du pays de Mousseray et des alentours qu'il avait trouvé dans la barque qu'avait pris Pivoine et Touff.

- Je vais déja tracer la plage où nous avons accosté. Nous avons navigué vers le Nord-Est, si on prend en compte la vitesse du navire et le temps que nous avons passé en mer, nous devrions nous trouver...par ici.

Il traça un trait droit dans l'étendue d'eau à l'Est pour simuler la côte ouest de l'île.

- Je ne sais pas si la carte est à l'échelle, continua Martin, alors peut-être est-ce complètement faux, mais c'est un début.

"-Et un bon début !" approuva Pivoine.

"-Si nous avons débarqué à l'ouest, je crois que nous avons bifurqué au sud-est. Il serait sage de noter à peu près nos déplacement pour ne pas nous perdre, ce que l'on aurait du faire dès le départ."

Elle omit volontairement de préciser que c'était sa précipitation qu'il leur avait fait oublier certaines mesures de précautions.

"Je propose que l'on saute la sieste, ce n'est pas tout les jours qu'on explore un nouveau territoire et il faut profiter du temps que nous avons au maximum !"

Ils refirent rapidement leur sac et ce fut avec un regain d'énergie que leur petite troupe repartit.

Messages : 15 Date d'inscription : 21/07/2008

Les étrangers n'étaient pas encore repartis.
Au contraire, ils avaient continué à avancer vers l'intérieur de l'île.
Ils étaient quatre: une créature blanche et noire au museau proéminent, deux êtres bruns avec une longue queue très touffue, et un animal gris et beige dont la queue était plutôt mince.
Ils étaient armés. Venaient-ils en amis ou en ennemis?

Les deux yeux brillants qui observaient les quatres voyageurs clignèrent. Leur possesseur s'interrogeait. Que devait-il faire?

Pendant que Touff taquinait Yanno, la frêle écureuil se rapprocha de Martin.
Elle prit une grande inspiration.
C'était maintenant ou jamais.
Ils étaient à hors de portée de voix de leurs compagnons. Elle débuta sans le regarder.

"Vous savez, Martin, je ne suis pas une meurtrière. J'ai seulement voulu me défendre, blesser ces trois... " Elle frissonna. Sous leurs loques et leurs cicatrices, elle avait été incapable de dire avec précision de quelles espèces ils étaient. "Mais j'ai été trop loin. Je leur ai volé leur vies."
Bon, jusque là, ça se passait bien, car même si sa voix déraillait sur quelques mots elle parvenait à contenir ses sanglots.
"Je l'ai toujours regretté. Parfois je les revois dans mes cauchemars..." elle se reprit bien vite. "Martin, vous êtes un des seuls qui le savent, je vous supplie de ne le dire à personne !" Elle osa alors le regarder avec un regard suppliant.

Martin écouta gravement Pivoine, puis répondit:

- Vous n'êtes pas la seule à qui ceci est déjà arrivé. Je pense que vous faites partie des créatures sur cette terre qui parfois sont victimes de la soif de sang. Je crois que c'est bien ça qui vous est arrivé. En général, seul les blaireaux sont touchés, mais moi-même en ai déjà été victime, et apparemment vous aussi. La soif de sang est un fléau contre lequel personne ne peut rien faire. Mais en souffrir ne veut pas dire que l'on est mauvais, et le regretter après est même une preuve de bonté infinie.

Il marque une pause pour laisser Pivoine digérer l'information, avant de reprendre:

- Il y a une chose que vous ne devez pas oublier: ces vermines, en vous attaquant, ont en quelque sorte pris la responsabilité de ce qu'ils allaient faire. C'est en premier leur faute, et pas la votre. Vous êtes certainement tombée sous l'emprise de la soif de sang et la situation leur a complètement échappé, heureusement pour votre vie. Cela ne vous débarassera peut-être pas de vos cauchemars et de vos regrets, mais sachez que votre secret sera bien gardé.

La gorge nouée par l'émotion, Pivoine lui fit un sourire solide, franc. Un mot s'imposait.
"Merci"

Soudain, tout s'éclairci dans son esprit. Elle avait été surprise de révéler son secret aussi facilement. Elle réalisa que son inconscient souhaitait partager ce fardeau, souhaitait qu'on la console, qu'on lui pardonne. Il l'avait libérée. Le remord sera toujours présent, mais il n'allait plus gâcher tout les jours de sa vie.

Cependant, elle s'interrogait. Avec une voix légèrement inquiète elle demanda :
"Martin, cette... soif de sang, comme vous dites... elle va revenir ? Je peux la contrôler ?"

Yanno fit mine de ne pas entendre les plaisanteries du jeune écureuil; il s'empara nonchalamment de sa courte hache, avisa le noeud d'un arbre, puis, se mettant en position, il dit: "Tenez, messire Touff, que dites-vous de ce lancer?"Et aussitôt après, la hache fendit l'air dans un souffle avant de se ficher avec force dans le noeud de l'arbre. Yanno sourit, l'air satisfait.

- Il est difficile de prédire quand la soif de sang va encore frapper, expliqua Martin à Pivoine, et pour l'instant le seul moyen que je connaisse est de se tenir loin de tout combat et de toute violence. Cela ne veut pas dire que vous serez forcément atteinte en vous trouvant dans une situation de bataille, mais les facteurs qui déclenchent la soif de sang me sont totalement inconnus.

Il réfléchit et poursuivit:

- Si vous avez l'occasion un jour de rencontrer un seigneur blaireau de Salamandastron, peut-être pourrez-vous en discuter avec lui. Il en saura sûrement plus que moi. D'ailleurs, je me demande si Yanno connaît la soif de sang. Vous pourriez l'interroger!

La souris se tourna vers le blaireau, juste à temps pour le voir lancer une hache qui alla se planter dans un arbre à proximité, dans un grand "Stoiiink" retentissant.

Messages : 15 Date d'inscription : 21/07/2008

Pendant que l'étrange groupe progressait, l'observateur mystérieux décida d'avertir sa tribu. Il siffla en modulant ses notes, puis tendit l'oreille. Quelques secondes plus tard, il entendit un sifflement identique au sien. Bien, le message sera transmis. Il reprit son observation attentive. Il se fondit agilement dans la végétation. Invisible, indétectable. Une ombre parmi les ombres.

C'est alors qu'une hache se planta dans l'arbre dans lequel il se trouvait, environ deux mètres plus bas que lui.

Touff restait figé, bouche bée.
La hache était encore dans la patte de Yanno un instant plus tôt, et maintenant elle était plantée profondément dans l'arbre, encore en train de vibrer.

Il se reprit et s'approcha nonchalamment de l'arbre et retira la hache. Enfin, essaya. La hache ne bougea pas d'un pouce. Il tira plus fort, sans aucun effet. Soudain, il éternua.

"Eh, j'sens quelque chose..."

Pivoine avait apprit à faire confiance à l'incroyable flair de son cousin.
"Tu sens quelque chose ? Quoi donc ?"

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