Poursuite du voyage

Après avoir ramené la taupe à son terrier, où ses parents après l'avoir grondé vertement pour s'être promené seule dans les bois, avaient invité son sauveteur à boir le thé chez eux, Anselme s'était remis en route. Traversant tous les bois de Méridion, il était maintenant arrivé à la lisière, après laquelle s'étendait un paysage vaste, sinistre et marécageux. Sachant parfaitement qu'il ne pourrait poser patte dans la fange sans s'y enfoncer jusqu'au cou, le blaireau entreprit lentement et sûrement la traversée. Son bâton tatônnant prudemment devant lui, il progressait sur les sentiers sûrs et caillouteux. Prenant l'habitude, il se mettait à marcher d'un bon pas lorsque d'étranges bêtes, qui nageaient dans la bouillie innommable du marécage s'avançèrent vers lui :

"Grogrogibié ! Gradoub' contentrècontent ! Mangémangé, miam !"

Les crapauds affluaient de partout, de plus en plus nombreux, surgissant de la vase. Ils pointèrent sur le blaireau de petites lances de bois pointues. Anselme sentit la moutarde lui monter au nez (à la truffe pardon) et dégaina son bâton de bois noir, qui s'abattit aussitôt sur les crânes verdâtres de six crapauds un peu trop près.

"GRRRrrororoarrr ! Hors de mon chemin, vils vers de vase visqueux et ventrus !"

Mais les crapauds ne se découragèrent pas pour autant. Une trentaine sautèrent sur le blaireau, tentant de l'immobiliser. Celui-ci se dégagea d'eux aussi facilment que de moucherons, mais trop tard ! On lui avait passé de longues cordes d'algues tout autour du corps, l'immobilisant au sol. Les crapauds firent des noeuds solides, et se mirent à une cinquantaine pour le traîner, tout saucissonné qu'il était. Anselme tenta de craquer les cordes qui le ligotaient, mais elles étaient trop nombreuses. Il poussa alors un hurlement terrifiant :

"Grrrrrrooooaaaarrrr ! Détachez-moi, vermines, et vous verrez qui est le plus fort !
-Toitoi gibié ! Toi tairtaire, ou moi tuertuer !"

Celui qui semblait être le chef du groupe ramassa une autre bande de vase et baillonna solidement Anselme. Celui-ci, fulminant sous ses cordes, ne pouvait que gémir furieusement. Il prit son mal en patience, attendant le moment ou une opportunité de se libérer se présenterait. Ils marchèrent encore et encore, jusqu'à arriver au camp des crapauds, place plus caillouteuse du Boirécage. Soudain, les crapauds furent transpercés de flèches et de javelines, et abandonnèrent Anselme. Celui-ci ne pouvait rien voir, ni se redresser.

"Allez, lieutenant, libérez l'étranger. Caporal, tenez les vermines en respect !"

Anselme sentit que l'on coupait ses cordes. Il frotta ses membres endoloris et se redressa : Une vingtaine de lièvres lui faisaient face. Il coupa son baillon et déclara :

"Merci bien, chers amis. J'étais dans une fâcheuse posture.
-Oh ce n'est rien , dit le lièvre le plus âgé. Nous étions en patrouille. Ces crapauds sont vraiment des pestes. Leur chef Gradouble nous harcèle depuis plusieurs saisons."

Or, les crapauds étaient en train de se rapprocher. Anselme se retourna vivement, assomma ceux qui se trouvaient devant lui, et le capitaine, qui tenait son bâton, eut le crâne brisé. Les autres s'enfuirent en plongeant dans la vase.

"Désolé, Messire, mais nous devons rentrer à Salamandastron, notre forteresse. A moins que vous ne souhaitiez venir avec nous ?
-Non, merci officier, mais je dois cheminer le plus vite possible en direction du Nord. Je suis à la poursuite de vermines.
-Comme vous voudrez ! A bientôt et bonne chance !"

Anselme nettoya sa houppelande de la poussière qui la recouvrait, et reprit son chemin, les sens aux aguets, en quête d'un abri pour la nuit.