Exercice et rencontre

Invité

Vivelame cessa sa course et attendit les quinze levrauts qui couraient à sa suite, transpirant, un sac sur le dos et une pique à la main. Une fois que tous furent alignés au garde-à-vous face à elle, la sergent-instructeur leur dit :

-Voilà! Nous sommes arrivés aux marais noirs, comme je vous l'avais dit!

Elle attendit un moment, puis sourit à ses recrues et dit:

-Repos! Vous avez quartier libre durant une heure.

Les futurs Coureurs de Fond se laissèrent aller à terre. Certains d'entre eux sortirent une ration de leur sac, mais d'autres restèrent justes assis en s'épongeant le front. Ils étaient partis de Salamandastron l'avant-veille, et ils se trouvaient maintenant à la lisière Ouest d'un espèce d'inquiétant marais, dans lequel poussaient de bouleaux à l'écorce noire comme la nuit, qu'on ne reconnaissait qu'à leurs feuilles. Les jeunes lièvres laissaient de temps en temps leur regard glisser vers l'endroit menaçant. Vivelame Fleurmortelle s'assit auprès d'eux et demanda à l'un d'eux:

-Pourquoi ne manges-tu pas?
-Ben, parc'qu'on n'est pas dans un camp, m'dame.
-Pourtant, je vous ai donné quartier libre, non?
-Ben, si, sergent, mais v's'z-avez pas dit qu'on pouvait grignoter...

Vivelame se tourna vers une jeune hase ( celle qu'elle avait croisée sur la plage au premier jour de l'entraînement) et lui demanda:

-Et toi, pourquoi manges-tu?
-Pour reprendre des forces, sergent. Vous nous avez laissé quartier libre pendant une heure, et il faudra bien qu'on mange à un moment ou à un autre de la journée, sauf vot'respect, sergent. Et comme on va plus s'arrêter avant c'soir, m'est avis, je r'fait un plein d'énergie.
-Bien raisonné, p'tite. Mais qu'est-c'qui t'fais penser qu'on vas pas s'arrêter avant c'soir?

Un levraut déguingandé répondit à la place de la hase:

-Parce qu'il est midi, l'heure la plus chaude de la journée, sergent. S'il y a un moment où il est dur d'avancer, c'est bien maint'nant. Alors on profite de la chaleur pour se restaurer, et de la fraîcheur pour avancer.

Vivelame sourit :

-Très bien raisonné. Notez tous cela dans vos carnets.

C'est à cet instant qu'une fouine surgit, l'air hagard, des sombres frondaisons du marais noir. Il vit les lièvres et, d'un pas maladroit, tenta de faire demi-tour. Aussitôt, Vivelam lui sauta dessus et n'eut aucune peine à le faire chuter. Elle l'assoma en tappant de son poing sur sa tempe, et elle l'attacha à un arbre.

-Qu'est-c'qu'on fait sergent?
-Trois d'entre nous vont faire un p'tit tour, pour voir s'il n'y en a pas d'autre. Si une vermine vient ici, ceux qui restent ne font pas d'quartier. Toi et toi, venez avec moi. Les autres, soyez sur vos gardes. On r'viendra dans cinq minutes.

Roussette était passée à Salamandastron pour prévenir les lièvres, et une heureuse nouvelle l'y avait attendue: le seigneur blaireau Biso le Héros était de retour. En repartant de la forterresse, l'écureuil avait remarqué des traces de pattes de fouines, de belettes et d'autres vermines. Elle avait suivi leur piste un moment, puis ils s'étaient séparés, et elle avait suivi le seul groupe comptant plusieurs membres. En profitant du terrain qu'elle connaisait, la voyageuse avait rejoint les vermines la veille au soir, en plein milieu des marais noirs. Elle avait réussi à abattre une des deux fouines, et durant la poursuite qui avait duré toute la nuit et une partie de la matinée, le rat s'était embourbé dans un marais pour ne plus jamais en ressurgir.

Arrviée à l'orée des marais, continuant malgré sa fatigue la poursuite de la troisième vermine du groupe, Roussette jaillit du bois...et se baissa juste à temps pour éviter une pique qui alla se planter dans le tronc pourri d'un chêne couché. Elle brandit son bâton, prête à vendre chèrement sa peau, mais elle remarqua soudain qu'elle se trouvait face à des lièvres à l'air belliqueux.

-Oh là, compagnons, nous n'allons pas nous déchirer entre alliés, je pense? La fouine que je vois là-bas, est une vermine que j'poursuis d'puis plusieurs jours. Il est heureux qu'vous ayez mis la main d'ssus. Elle a des comptes à vous rendre à vous aussi?

Pour bien montrer ses intentions pacifiques, Roussette posa son bâton par terre...sans se risquer à ôter les deux dagues cachées dans son dos.

Invité

Vivelame était à peine entrée sous le couvert des arbres que ses longues oreilles entendirent le bruit d'un javelot se plantant dans un tronc. Elle fit aussitôt volte-face et retourna vers ses lièvres, brandissant son sabre.

-Oh là, compagnons, nous n'allons pas nous déchirer entre alliés, je pense? La fouine que je vois là-bas est une vermine que j'poursuis d'puis plusieurs jours. Il est heureux qu'vous ayez mis la main d'ssus. Elle a des comptes à vous rendre à vous aussi?entendit-elle.

Aussitôt, le sergent perça les rangs des jeunes recrues en direction d'une femelle écureuil qui brandissait un bâton de bois dur. Arrivée à sa hauteur, elle la reconnut et s'exclama, après avoir rengaîné son sabre:

-Roussette Sansnid! Quel bonheur de vous r'voir! Cette fouine a surgi du marais et j'me préparais avec deux de mes recrues à r'garder s'il n'y en avait pas d'autre. Vous dites qu'vous la poursuiviez, mais pourquoi donc? Et d'abord, comment vous vous t'nez?

-Je vais bien, Vivelame Fleurmortelle, j'vous r'mercie. Seul'ment, j'crains que des vermines ne se préparent à attaquer l'Abbaye de Rougemuraille. Biso le Héros m'a dit qu'il verrait pour nous envoyer des renforts. Je poursuivais cette vermine pour l'empêcher de remonter une armée, vu qu'on a éliminé le petit groupe de vermines qui nous menaçaient auparavant, ou presque. Mais il n'y en a plus d'autres dans le coin. Je m'proposais de r'tourner à l'abbaye pour les aider à préparer la défense. Vous seriez d'accord de venir avec moi? On s'ra jamais trop pour les aider et repousser un groupe de vermines. Si vous vous décidez, r'joignez-moi à l'abbaye!

Au risque de paraître impolie, Roussette sauta dans un arbre et, son bâton dans la bouche pour pouvoir le saisir au moindre problème, elle se mit à presque voler d'un arbre à l'autre. Si elle ne faisait que de très courtes pauses, et qu'elle ne dormait qu'une nuit sur deux, elle serait à l'abbaye en quatre jours minimum. Elle savait que les lièvres s'occuperaient de la fouine, qui était toujours assomée, et ne s'en inquiétait donc plus.

Invité

Après le départ de Roussette, Vivelame réfléchit un petit moment, après avoir dit à ses recrues de se restaurer. A peine eurent-elles fini leurs nouvelles miches de pains ultranourrissantes que le sergent sautait sur ses pattes.

-Bon, levez-vous, les jeunets. Garde à vous!

Aussitôt, les levrauts et les jeunes hases obtempérèrent.

-Jusqu'à maintenant, tout ce que nous avons fait n'était qu'un simple entraînement. Mais vous avez entendu Roussette tout comme moi: l'abbaye de Rougemuraille est en danger! Voici c'qu'on va faire. Patagile, j'veux qu'tu coures jusqu'à Salamandastron. Tu vas avertir l'seigneur Biso qu'on est partis pour Rougemuraille. Vous autres, vous devrez m'obéir au doigt et à l'oeil. J'dis debout, vous vous l'vez. J'dis couché, vous vous allongez. J'dis sautez au fond d'c précipice, vous sautez. C'est clair? Ca peut vous sauvez la vie. Que vous ne m'obéissiez pas peut vous tuer, et d'autres personnes avec vous, j'me suis fait comprendre? Bon, mint'nant, vous allez m'prouver qu'j'ai pas eu tort d'vous choisir; j'veux qu'vous soyez une vraie Patrouille! Montrez-moi c'que vous valez! En rang par deux, plein sud. Toi et toi, vous ouvrez la marche. Allez-y tout d'suite, j'vous r'joindrai.

Tandis que les quatorze lièvres partaient, alignés, et que la quinzième courait vers Salamandastron, Vivelame gifla la fouine pour la réveiller. Elle lui lia les pattes avant.

-Toi, tu viens avec nous. Au moindre faux mouv'ment, j'te tue, c'est clair?

La fouine, encore abasourdie, se contenta d'aquiescer.