Retour à l'abbaye

A la fin de la dernière bataille, on avait séparé l'armée en deux. Une première, guidée par Radmaré, avait aidé les blessés à rentrer à l'abbaye. L'autre moitié était partie avec Martin en arrière, pour chercher les corps des morts. C'est une troupe bien triste qui rentra à Rougemuraille; même les plus féroces guerriers ne cachaient par leurs larmes en voyant certains de leurs compagnons morts, et Martin pleurait en particulier pour Vivelame. Vivelame, qui avait passé tant de temps avec eux, qui avait donné des plans si ingénieux, qui, avec ses lièvres, avait énormément contribué à la victoire, Vivelame qui était morte en héroïne pour permettre la destruction de Kulnarg... Comment pouvait-elle être morte?

Lorsqu'ils entrèrent dans l'abbaye, les solides loutres de Radmaré prirent le relais et rapportèrent les corps, couchés sur des brancards de feuilles et de bois, à l'infirmerie, où on les coucha et on lava leur corps de la poussière et du sang séché.

C'est à ce moment que les habitants comprirent à quel point ils auraient eu besoin d'un abbé. Mais ils feraient de leur mieux pour donner aux braves morts au combat une sépulture digne de leur courage.
Kulnarg avait à jamais laissé une marque de ses griffes dans le coeur des habitants de Mousseray.

[Merci d'avoir pensé à me ramener!!! Razz

]

Roussette se réveilla à l'infiremerie. Son crâne était emballé dans une bande blanche, de même que ses flancs. Autour d'elle, des gens s'activaient autour de corps allongés.

Elle avait mal à la tête et ne parvenait pas à rassembler ses esprits. Et puis ce bandage la serrait trop. Toujours allongée, elle s'en débarrassa. Elle respira un gand coup lorsqu'une douleur fulgurante lui transperça le crâne, puis se calma. Elle laissa son regard errer autour d'elle. Ses yeux perçurent quelque chose que son cerveau ne parvenait pas à analyser, et elle dut se concentrer pendant plusieurs secondes pour reconnaître Vivelame, allongée sur un lit non loin d'elle. La douleur lui transperça le coeur, cette fois. Tout allait trop vite pour son esprit qui ne tentait plus de comprendre ce qui se présentait à lui.

L'écureuil sauta de son lit et sortit, sans que les habitants de l'abbaye qui s'activaient autour des morts ne la remarquent. Elle courut, dévala les escaliers à toute vitesse, et sortit dans le jardin, accélérant encore. Grimpant sur les remparts, elle alla s'appuyer contre les pierres rouges et chaudes des créneaux.

Elle venait d'avoir la preuve que tout cela n'était pas un mauvais rêve. Inspirant un grand coup, elle tenta de se calmer, mais n'y parvint pas. Ses pensées vagabondaient hors de son esprit, elle n'exerçait aucun contrôle sur elle-même, et cela ne l'énervait même pas. Elle avait le sentiment de se débattre dans un brouillard trop dense.

Avisant une branche d'arbre un peu plus loin, elle prit son élan et sauta des remparts à la forêt. Concentrée uniquement sur ses mouvements, elle se mit à planer d'arbre en arbre à toute vitesse. Elle avait le sentiment qu'il n'y avait ni assez d'air ni assez d'espace en ce monde pour laver son esprit de tout ce qui s'y embrouillait. Et pourtant, petit à petit, son esprit recommençait à lui appartenir, si bien que, des heures plus tard, à la nuit tombée, elle se retrouva, pantelante, épuisée, sur les remparts de grès qui avaient conservé la chaleur de la journée, et elle put enfin s'endormir sans sombrer dans un coma cotonneux.

Radmaré, malgré la douleur qui menaçait de le submerger à chaque instant, prit la direction des opérations de sépulture. Creuse-en-chef et son équipe creusèrent une rangée de tombes côte à côte, derrière le verger. Pendant ce temps, les loutres retournèrent au champ de bataille et transportèrent les cadavres des vermines jusque dans la Mousi, où ils furent emportés. Les souris et les écureuils vêtirent les morts de robes blanches, et on les transporta jusqu'aux tombes, où ils furent inhumés au coucher du soleil. Chacun leur rendit un hommage. Vint le tour de Vivelame.

Roussette se réveilla juste à temps pour assister aux obsèques. Lorsqu'arriva le tour de Vivelame, l'écureuil se chargea elle-même de recourvir son visage du linceul, et de la mener jusqu'à la tombe, avec deux autres écureuils.

Elle aurait voulu pronnoncer quelque chose, dire un mot à la mémoire de son amie, mais n'y parvint pas. Alors elle se contenta de rammasser une petite fleur bleue et de la déposer dans la tombe aux côtés de Vivelame, ainsi que la lame de la hase, qui n'avait pas suffit à la protéger.

Puis elle se retira, une douleur lancinante dans la poitrine, mais le regard droit et déterminé.

Martin, bien que terrassé par la tristesse, commença quand même un petit "discours" d'adieu.

- Les guerriers qui se trouvent là ont sacrifié leur vie pour sauver la notre. Certains d'entre eux ont résistés pendant des heures aux assauts des vermines, sans jamais faire d'erreur, jusqu'à qu'ils soient submergés par les attaques. Qu'il nous entendent ou non, eux qui courent déjà maintenant dans les prairies ensoleillées, qu'il sachent que nous leur garderons à jamais une place dans notre coeur.

Roussette écouta le discours de Martin puis, après avoir approuvé d'un signe de tête, elle traversa le jardin et monta dans la chambre qu'elle avait occupée à l'abbaye.

Ses yeux avaient déjà assez pleuré, il était inutile d'en rajouter. Rapidement, elle fit son paquetage, puis descendit aux cuisines et chipa quelques provisions. Sortant par la fenêtre, elle rejoignit le rempart Ouest et sortit par la poterne. Sans marcher trop vite, à cause de ses blessures, elle s'enfonça dans la forêt.

Lorsqu'elle ne put plus avancer, elle grimpa dans un arbre et s'installa pour la nuit, tout cela sans réfléchir. Les habitants de l'abbaye comprendraient, ou en tout cas, Martin et Radmaré sauraient leur expliquer.

Elle ne voulait pas s'attacher.

Jamais.

Soudain, alors que les tombes venaient d'être terminées, Radmaré releva la tête.

"Allons mes amis ! Vous ressemblez à une bande de crapauds dégonflés ! Je suis sûr que Vivelame doit bien rigoler, là où elle est, à nous voir tous éparpillés dans l'herbe à pleurnicher ! Les guerriers sacrifiés ne méritent pas cela. Allez, un festin nous attend !"

La bonne humeur reprit le dessus, et les préparatifs du banquet commençèrent, Rougemuraille retrouvant ainsi son allure de fourmilière géante. Les loutres revenues de la battue se mirent à préparer leur fameuse soupe aux crevettes, non sans une bonne dose de racines épicées.

Martin se fit la réflexion que Radmaré était sans doute le plus raisonnable d'entre eux. Le passé était le passé, et aucun des morts n'aurait aimé que l'abbaye entière reste là, à rien faire, sans profiter de la vie.

Tout en préparant le banquet, Martin remarqua l'absence de Roussette. Il pensa qu'elle était allée faire un tour dans la forêt pour se ressourcer.
C'était assez étrange de préparer un banquet: lorsque les vermines avait été découvertes à Mousseray, un fête battait déjà son plein. Et on avait l'impression qu'elle recommençait, comme s'il ne s'était rien passé.
L'abbaye était en effervescence:
- Allez donc me chercher le plus gros fromage au noix que vous trouverez!
- Tiens, j'm'en allions prréparrer une tourrte patate-navet-betterrave de ce pas!
- J'ai mis en perce un tonneau de bière d'octobre!
- Il me faudrait des volontaires pour aller pêcher un bon gros poisson dans l'étang!

Tandis que le soleil de la fin de l'automne se couchait lentement, Rougemuraille se préparait à fêter sa liberté retrouvée.

La fête fut mémorable. Profitant des derniers jours de beau temps, on avait dressé quatre grandes tables devant l'abbaye, toutes couvertes de mets aussi appétissants les uns que les autres : tourtes, quiches, salades, juliennes de légumes, pommes sautées, génoises, gâteaux, cakes, fruits en grand nombre... Les cuisiniers s'étaient dépassés pour préparer un tel festin en si peu de temps. On ramena même une belle carpe de l'étang. Puis, frère Alambic revint de la cave avec des barriques de pétillant à la framboise, de bière d'octobre, de mousseux au cassis et de cidre frais.
Une minute de silence fut tout de même observée pour les nombreux combattants morts dans cette guerre. Les loutres menèrent un numéro d'acrobaties, et une bandes de jeunes souris montrèrent leurs prouesses au jonglage.

Radmaré repoussa son assiette, reposa son verre sur la table et s'affaissa sur sa chaise. Le Skipper des loures de Rougemuraille était heureux : le ventre rempli, entouré de ses amis... Et surtout, la paix était revenue à Mousseray.

- FIN -

(Fin pour moi : Radmaré est maintenant un personnage non joué. Place à Anselme !)

[Tatataaaa...entrée de Grataterre dans le RP. Attention, les non-Bou-d'Chous vont en voir de belles!]

Parmi les Bout-d'Chous tous plus turbulents les uns que les autres, que la pauvre infirmière Feufolette tentait de faire tenir tranquille, était assise une petite taupe qui mangeait calmement et proprement, apparemment indifférente au désordre ambiant. Vêtue d'une tunique de lin teinte en brun, tenue à la taille par la ceinture en écorce de son père, on la prenait facilement de loin pour un garçon.

Pendant que Feufolette s'affairait pour tenter de faire manger un tout petit loir, Grataterre se pencha vers son ami Picfrap, le hérisson le plus turbulent que l'abbaye ait jamais abrité.

-T'crroyons point qu'on d'vrrions prendre des rrréserrves? demanda-t-elle, avant d'ajouter: Parrrc'que si on mangions rren, on rrisquons ben d'avoairr faim.

Picfrap aquiesça énergiquement, et s'empara d'une grosse part de tourte patate-navet-betrave. Mais il se fit taper sur la main par l'infirmière avant d'avoir put la glisser dans ses vêtements.

-Tss, tss... fit Feufolette. Tu d'vrais prendre exemple sur ta camarade, Picfrap, plutôt que d'aligner les bêtises.

La taupe lui fit un sourire angélique, mais dès qu'elle eut le dos tourné, Grataterre montra à son ami un petit sac de toile dans lequel elle avait glissé du pain, du fromage, des pommes, et une flasque de jus de pissenlit.

-Si j'devions compter surrr toé pourr notrre excurr...notrre prrom'nade, on s'rrait pas prrès d'parrrtir, gronda-t-elle.

Pendant que de jeunes souris faisaient des prouesses de jonglage, les deux Bout-d'Chous s'éclipsèrent en direction de l'abbaye.

Tandis que Rougemuraille fêtait sa victoire, sous les cris et les rires, la nuit tombait. Partout, à Mousseray, la guerre et la tristesse faisaient place à la paix et à la joie.
Martin regarda en l'air, et vit un nuage qui lui rappela vaguement un visage de lièvre. Un étoile brillait à travers, comme le reflet de la lumière sur un oeil. On aurait dit Vivelame en train de lorgner le repas du banquet. Martin eut un petit rire, puis poussa un long soupir heureux.

La paix était revenue à Rougemuraille.

FIN